Voilà un livre qui m'a fait de l'oeil dès sa sortie. L'histoire de Marie-Sabine Roger est assez semblable à la mienne, c'est pourquoi ce livre m'a beaucoup touché.
Quand sa mère atteint l'âge de 92 ans, l'auteure est obligée de la placer dans une maison de retraite (Ehpad pour les Français, home pour les Belges). Elle vient la voir tous les mois et assiste à sa déchéance tout à fait impuissante.
Même si nos mères avaient un caractère très différent, j'ai trouvé pas mal de similitudes dans les faits décrits par Marie-Sabine Roger et j'ai souligné pas mal de passages que je relirai de temps en temps. Je vous en livre quelques-uns.
"Marche entravée. Chutes et bleus... Pas minuscules... Tu es vite essoufflée... Je ne veux pas te voir vieillir. C'est difficile de voir poindre le terme. Surdité.
Je m'inquiète d'un coeur fragile. Ton coeur tiendra, maman.
Tu es d'une sérénité qui me semble solide.
Qui peut remplacer une mère?
Vieillir, c'est mourir à tout enchantement.
Vieillir. Je pressentais des mystères, de lourdes afflictions. Pressentir n'est pas éprouver.
Ma mort, je la vivrai par anticipation.
Faute de moyens et de temps, on te contraint aux couches. C'est tout le fonctionnement qui pêche. Laisser le temps à la prévenance, et la place à la dignité, cela suppose des moyens, et surtout des gens disponibles. Le personnel est en sous-nombre, plutôt gentil, toujours pressé.
Que se passe-t-il dans les chambres, aux heures de couloirs déserts, dans les moments de pause, lorsque le personnel soignant semble avoir disparu de l'établissement?
L'Ehpad, c'est la vieillesse dans ce qu'elle a de pire.
Tu ne décides plus rien de ce qui fait ta vie. Je déteste plus que tout l'infantilisation.
Comment peut-on s'adapter à cela? Qui voudrait vivre ainsi? Qui voudrait mourir là?
A présent, tu ne manges plus que des aliments mixés, tu bois de l'eau gélifiée...
Je te donnais la becquée, par petites cuillères attentives, pour ne pas risquer une ces fausses-routes qui t'étaient déjà arrivées.
Plus le temps va, plus il va vite.
Avec toi, j'assistais à de menus déclins qui, tous additionnés, atteignaient des sommes incalculables de pertes sans profit, et de renoncements. Jusqu'à tes yeux clos, maintenant. Un avant-goût de la fermeture.
Ce n'est pas un bon jour, c'est certain, quand une mère, un père, ne peut plus dire bonjour. Je te parlais quand même.
Si petite dans ton lit blanc, enclose, inerte, ailleurs. Inconsciente de ma présence. (???) Parfois, j'obtenais une ombre de sourire, deux ou trois mots venus de loin, murmurés de cette voix si hésitante et basse, qui butait sur chaque syllabe comme on bute sur un caillou. Ta voix passée, enfuie, trépassée avant toi, dans ce dépouillement, cette expropriation qu'est notre fin de vie.
Ton rire aussi faisait partie des pertes, des deuils irrémédiables. Eteint depuis longtemps.
Tu étais d'une résistance incroyable !
J'aurais voulu que mes parents partent juste à temps. Avant le mauvais temps.
Tous ou presque, nous finirons nos vies dans des lits à une personne. Des lits étroits, pour mourir seuls.
La vieillesse ne m'effraie pas. C'est la dépendance qui m'alarme.
Et si la question n'était pas de provoquer la mort, mais bel et bien de ne pas l'empêcher, lorsque tout ce qui est à venir sera forcément pire, sans aucune lueur d'espoir? La vie est un bien précieux. C'est aussi un mal incurable. Personne n'en guérit jamais.
Maintenir la vie sans préserver ce qui en fait l'essence, c'est une mort sans cesse répétée. Une indicible pénitence.
Et si cette extrême vieillesse n'était, en fait, qu'une voix de garage au bout d'un quai désaffecté?
Si vieillir est inéluctable, vieillir mal n'est pas obligé.
J'aime la vie. Cela m'ennuiera de la quitter. J'aimerais mieux que ce soit par surprise.
Alors que nous entrions dans le confinement, dans savoir pour combien de semaines ou de mois, je me suis surprise à penser que, finalement, tu étais partie au bon moment. C'était un soulagement étrange. Je me suis demandé qui, de nous deux, aurait le plus mal supporté l'éloignement contraint, le silence forcé.
Beaucoup de noirceur dans ces lignes, mais la lumière existe, aussi."
Beaucoup de noirceur dans ces lignes, Marie-Sabine Roger le dit elle-même, mais il est bon de savoir que d'autres ont vécu la même situation, que l'on n'est pas seul.
Ce livre m'a-t-il fait du bien? Je ne sais pas. Revivre des moments douloureux ne fait sans doute pas de bien, mais ce témoignage m'a terriblement touché. Je remercie Mousse pour ce beau cadeau d'anniversaire.
Un livre que je ne conseille pas nécessairement à tout le monde, mais peut-être à ceux qui vivent des moments semblables.